Le Capharnaüm de Solen

Les conventions sociales

Publié le 10/04/2021

J'ai longtemps cru que tout le monde avait la même définition que moi des conventions sociales : une règle sur laquelle tout le monde ou la majorité des gens s'accordent. Or lors d'une conversation avec des collègues de travail, après avoir dit que ne pas roter à table était une convention sociale qui n'était pas suivie dans tous les pays, une collègue m'a jeté un regard horrifié accompagné d'un « mais on ne va pas se mettre à roter à table ». J'aurais pu me lancer alors dans un long exposé éducatif, mais le jeu n'en valait pas la chandelle.

Cette anecdote est révélatrice de la naturalisation d'un grand nombre de conventions sociales. Les gens sont tellement habitués à suivre ces règles qu'ils ne les remarquent plus. Elles sont évidentes, donc non remises en question. Au vu des levées de boucliers qu'on peut observer lorsqu'on pointe du doigt que tel élément est une convention sociale (au hasard : le genre des individus), j'ai la conviction que beaucoup de gens pensent qu'étiqueter une pratique comme convention sociale implique que celle-ci n'a pas d'impact dans nos vies, parce qu'elle n'a pas de fondement irréfutable.

Ce n'est pas parce qu'une règle a été décidée (plus ou moins) arbitrairement qu'elle n'a pas d'impact. L'effet d'une règle dépend de son application uniquement. Il ne dépend pas non plus d'une adhésion consciente et volontaire. Personne ne s'est vu présenter à la naissance une liste des règles à respecter pour y mettre sa validation. (C'est bien dommage d'ailleurs, ça serait tellement pratique d'avoir une liste explicite plutôt que d'avoir à deviner tant de choses.)

Pour prendre quelques exemples de conventions sociales :

  • Les langues sont des conventions sociales. Rien ne justifie qu'on appelle le même objet chaise en français, chair en anglais, silla en espagnol et Stuhl en allemand. Ce sont des combinaisons de sons sur lesquelles des populations se sont accordées. Ne pas suivre les règles d'une langue, c'est ne pas se faire comprendre.
  • Manger est un besoin vital universel, mais le rythme des repas, le type de nourriture, les couverts… varient largement dans le monde.
  • La politesse n'a rien de naturel. Ou alors je veux une preuve vidéo. J'ai toujours rêvé de voir des chats faire la révérence. Quelqu'un qui ne respecte pas les règles de politesse ne portera pas atteinte à son intégrité physique, mais sera perçu comme malpoli par les autres et aura plus de mal à s'intégrer dans un groupe.
  • Le Code de la route est une convention sociale. Nous ne naissons pas avec la conviction profonde que ces engins mobiles et bruyants doivent rester sur le côté droit de ces rubans au sol avec des traits. (D'ailleurs dans certains pays, on roule à gauche !) Ce n'est tellement pas naturel que nous payons des cours pour nous apprendre ces règles. Personne ne pourra sérieusement argumenter qu'elles n'ont aucun impact. Si nous pouvons rouler à 130 km/h sur les autoroutes, c'est parce que nous savons que personne n'arrivera en sens inverse. (Normalement.) Je pourrais continuer encore longtemps, tant nous vivons dans un tissu de conventions sociales, qui vont des plus étendues (le type de gouvernement) comme des plus spécifiques (laisser un point à la fin d'une phrase dans un sms est perçu par un bon nombre de personnes comme agressif).

À quoi sert de dire que quelque chose est une convention sociale, puisque ça ne signifie pas que cette chose n'a pas d'impact ni qu'il ne faut pas la suivre ?

Tout d'abord, cela permet de se rendre compte que cette convention n'est pas quelque chose d'universel (tout le monde ne mange pas avec une fourchette, par exemple) ni d'inchangé à travers le temps (avant le XXe siècle, le bleu était associé aux petites filles et le rouge aux petits garçons). Nous avons nos usages, qui ne sont a priori ni meilleurs ni moins bons que d'autres, mais cela ne veut pas dire qu'ils sont valables pour tout le monde.

Ensuite et surtout, cela permet de réfléchir sur ce qui est considéré comme allant de soi. Quand on ne se rend pas compte qu'un autre choix aurait pu être fait, on ne réfléchit pas à ce qu'implique celui qu'on perpétue. Questionner une convention sociale ne veut pas dire la rejeter. On peut ressortir conforté dans son choix, ou avoir changé totalement ou partiellement d'avis. Une fois ce travail de réflexion fait, on peut alors essayer de faire changer les choses, ou continuer comme avant, mais avec une plus grande conscience de ce que cela implique, et une plus grande compréhension des gens qui ne suivent pas les mêmes conventions que nous.

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